Hommage

Mon père était tailleur de pierres. Tailleur de l'une des pierres les plus belles à mes yeux mais aussi des plus ingrates qui soient, le granit. Il a donné tout son temps et tout son amour pour son métier. Ce métier lui aura tout donné et lui aura tout pris. Il est décédé en mars 2009, à l'age de 66 ans des suite d''une silicose.

Louvigné du Désert est une petite ville aux portes de Bretagne, à la limite de la Normandie et de la Mayenne. C'est un pays ouvrier dominée par l'activité granitique, de l'exploitation minière à la taille de pierres, en passant par le funéraire.

Tout ici rappelle le granit, comme un rappel permanent qui se grave au fond de chacun. Maisons, trottoirs, fontaines, tout est granitique. Et là où la main de l'homme n'est pas passée, ce sont des boules érodées par les éléments qui rappellent leur présence au milieu des champs.

C'est dans ce paysage que j'ai grandi. Enfant, j'étais intrigué par ces masses froides et immobiles aux aspects parfois étranges, parfois inquiétants, souvent poétiques.

En grandissant, j'ai souhaité visiter les carrières, là où l'on extrait la matière première qui deviendra maison, trottoir, fontaine, cheminée ou encore sculpture. Puis vint le jour où mon père m'accorda de me faire visiter la carrière où il travaillait. C'est là bas, sur ce chantier que j'ai eu la plus grande sueur froide de toute ma vie. 

Imaginez un gamin de dix ans à peine au milieu d'un chantier sur dimensionné, où règnent l'immobilité, la rudesse, le froid, le vent. Tout n'était pour moi que danger dans cet univers hostile que je ne comprenais pas et qui semblait ne pas vouloir de moi.

C'est là aussi que je découvris avec stupéfaction la réalité du granit. Mon père travaillait sur ce que l'on appelle une "bouchardeuse" pour donner les premiers traits au granite brut sorti de la carrière.  Cet engin monté sur un rail coulissant ressemble à un énorme marteau piqueur. En guise de poignée, une énorme planche de 15 cm de profondeur sur 50 cm de largeur environ. Les vibrations de la machine avaient finies par graver la main gauche de mon père dans le bois, sur une épaisseur de près d'un centimètre. Hallucinant.

Cette vision m'a marqué pour le reste de mes jours. Moi qui ressentait déjà dès les premiers instants de cette visite des sensations telles que je n'aurais jamais pu imaginer, là, j'étais servi ! De retour à la maison, cette image s'est gravée en moi à jamais. Aujourd'hui encore elle reste là, présente.

Mais voilà, au fil du temps, mon père a partagé avec moi tout ce que je ne savais pas encore sur le granit. Il a su par sa patience et son amour du métier me faire apprécier la nature, même dans ses aspects les plus sombres. Il m'a offert de saisir la beauté du geste de la main. Ces gestes techniques au premier abord demandent avant tout une compréhension subtile de l'élément qui va bien au delà des contraintes physiques du support. Il m'a donné d'aimer la sculpture, cet art comparable à l'écriture mais en trois dimensions.

Aujourd'hui, j'ai grandi. Mon père est parti. Mais il m'a laissé cet héritage sublime, que personne ne peut m'enlever : il m'a offert de partager son amour des pierres. 

Certes, j'ai abordé le sujet minéral d'une façon fort différente, mais avec le même respect, le même amour.

Grâce te soit rendue Papa.



Hommage soit aussi rendu à tous ces hommes courageux qui chaque jour travaillent le granite, qu'ils soient mineurs, tailleurs ou sculpteurs.

Ci-contre : horloge de Marie sans chemise à Amiens. Le socle et l'escalier ont été réalisés par la société ou travaillait mon père : "Raultgranit".
Il s'agit d'un granit gris bleu de Louvigné en finition bouchardée.

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